Mathilde Billet Juillard (Sister promo 3) “Éco-anxiété des jeunes : le but est de les émerveiller, de générer des émotions positives, de créer une connexion à la Nature”
Publié le 7 February 2023

L’éco-anxiété est un sujet encore assez peu médiatisé et qui touche de plus en plus de jeunes. Mathilde Billet travaille dans le milieu marin et auprès de jeunes. Elle a imaginé une solution de plongée sous-marine pour lutter contre leur éco-anxiété et combattre les angoisses environnementales qui peuvent s’accompagner de troubles du sommeil, de pertes de poids, ou de comportements dépressifs. Dans cette interview Mathilde nous aide à y voir plus clair sur les enjeux liés à l’éco-anxiété et nous explique en détails son projet.

Aujourd’hui l’éco-anxiété apparaît comme un nouveau défi pour les citoyen·nes et notamment pour les jeunes. Peux-tu nous dire de quoi il s’agit ?

L’éco-anxiété, c’est la traduction d’une prise de conscience environnementale sur la crise climatique. Au vu de cette prise de conscience on peut ressentir plein d’émotions. De la tristesse, de la peur, de l’inquiétude. Ces émotions sont directement liées à l’état environnemental de notre planète. C’est de cet état que découle de l’anxiété et nous parlons donc d’éco-anxiété. Souvent c’est à la suite d’une prise de conscience que naît ce sentiment. On parle même de la courbe du changement, qu’on associe à la courbe du deuil. On réalise, puis on s’informe énormément… On panique, on est en colère, on se dit qu’on ne peut rien faire et que nous sommes fichu·es, puis enfin, on arrive à mobiliser des forces au fond de soi pour repartir. Souvent cette éco-anxiété arrive car nous sommes en dissonance cognitive entre une prise de conscience, le fait de vouloir agir et ce que nous faisons vraiment dans nos vies personnelle et professionnelle.

Existe-t-il différentes formes d’éco-anxiété ? 

Oui, il existe beaucoup d’états différents qui amènent des personnes à s’isoler. Être conscient·e de la crise que l’humanité traverse et ne pas savoir par où commencer, ne pas savoir quoi faire ou comment agir, c’est aussi une forme d’éco-anxiété. Il faut partir du principe que l’éco-anxiété n’est pas considérée comme une maladie mais que cela peut entraîner des troubles pathologiques comme des troubles du sommeil ou des troubles alimentaires. 

Tu t’intéresses à l’éco-anxiété chez les enfants, quelles sont les conséquences de l’éco-anxiété sur cette population ?

Aujourd’hui, on ne met pas assez souvent les enfants dans une situation de futur·es citoyen·nes C’est dommage car, ils et elles ont plein d’idées, plein d’envies. C’est important de les écouter car eux aussi ont des angoisses. J’ai pris l’habitude maintenant dès que je croise des élèves de leur demander avec des mots bien spécifiques et sans parler d’éco-anxiété, comment ils vont. Le constat est qu’au minimum la moitié des élèves ressentent de l’éco-anxiété. J’ai pris le parti de ne pas parler d’éco-anxiété, parce que j’ai le sentiment que ça va davantage les effrayer. Je préfère être pédagogue avec eux, leur dire que ce qu’ils ressentent est normal. Il est important d’insister auprès de jeunes sur le fait que ce n’est pas eux qui ont un problème mais plutôt le monde dans lequel on vit. Je leur donne quelques conseils pour essayer d’atténuer ces sentiments.

Il y existe une étude* sortie en 2021 qui est beaucoup mentionnée pour parler d’éco-anxiété. Elle a été réalisée sur 10 000 jeunes dans 10 pays différents. Autant des pays du nord que des pays du sud. Les chiffres sont alarmants. Plus de la moitié de ces jeunes se sont déjà senti·es tristes, anxieux·ses, en colère, impuissant·es ou coupables du changement climatique. En parallèle, je fais un constat personnel sur le terrain : en classe de CM2, la majorité des élèves se sentent inquiet·es. Ils se demandent déjà quel monde ils vont laisser aux futures générations. Ils ont peur pour leur avenir et pour l’avenir des générations d’après.

Quelles sont les solutions que nous pouvons mettre en place aujourd’hui pour lutter contre l’éco-anxiété dès le plus jeune âge ?

On peut déjà agir en limitant notre quantité d’information. Je conseille aux enfants de regarder moins les actualités, ils en ont le droit. Ces messages sont très anxiogènes, c’est important d’en avoir conscience et de s’autoriser à couper avec l’actualité. Aujourd’hui il faut aller se balader, sortir, essayer de redécouvrir les espaces verts autour de chez nous. Apprendre le nom des arbres et le chant des oiseaux. Découvrir la biodiversité de nos villes. Il est important également, d’essayer de passer à l’action, soit individuellement ou en trouvant des actions collectives dans lesquelles s’intégrer. 

Amandine Cassi

Et surtout il faut en parler autour de nous. Ma première volonté c’est de rassembler les jeunes. Les jeunes peuvent se sentir seul·es face à tout ça. Créer une communauté est une des meilleures façons de lutter contre l’éco-anxiété. Les éco-gestes sont déjà un bon début mais ils ne vont pas complètement apaiser l’éco-anxiété car la problématique est plus globale.

La connexion avec la nature semble indispensable pour lutter contre l’éco-anxiété…

Les jeunes doivent avoir une place auprès de la nature. J’ai choisi de créer une structure (Mama-Scuba) qui propose des plongées en mer. On part du constat que la mer et surtout les fonds sous-marins émerveillent beaucoup. Le but c’est d’émerveiller les jeunes, de générer des émotions positives, de créer une connexion à ce milieu sous-marin, d’apprendre à l’aimer et donc vouloir le protéger. On connaît maintenant les bienfaits de l’eau qui sont scientifiquement prouvé (lire l’interview d’Amandine Cassi – Sister promo 3). Par ailleurs, la plongée en bouteille a un effet sur l’anxiété et sur le stress. C’est apaisant, le rythme cardiaque est automatiquement ralenti, on entend notre respiration tout en étant dans une bulle. 

Parle nous un peu plus de MamaScuba…

Mama-Scuba est un centre d’exploration sous-marine et d’éveil environnemental. Nos actions sont à destination des jeunes de 10 à 17 ans qui vivent des situations d’éco-anxiété. J’aimerais créer un lieu de rassemblement, pour que ces jeunes se retrouvent, qu’ils et elles se sentent moins seul·es. L’objectif est aussi d’intégrer les parents pour les aider à gérer les émotions de leurs enfants par rapport au changement climatique. Les parents ne savent pas toujours comment gérer. C’est tout à fait normal, c’est nouveau et ce n’est pas simple d’en parler et de trouver les mots justes. J’aimerais également proposer des ateliers bien-être, méditation, yoga, sophrologie. Essayer de proposer aux enfants des techniques, qui pourraient utiliser dans leur vie quotidienne d’apaisements à travers des exercices. Il y a également une volonté de créer des partenariats avec des psychologues, ou pédopsychiatres spécialisé·es dans l’éco-anxiété pour proposer une prise en charge.

Où es-tu rendue dans le développement de ton projet au sein de l’incubateur Earthship Sisters ?

Aujourd’hui je traverse une phase un peu calme pour le projet, après avoir fait un gros pas en avant au mois de novembre. J’ai pu rencontrer un potentiel partenaire de club de plongée à la Ciotat. Je suis aussi entrée en contact avec Bathysmed, une entreprise qui travaille sur la plongée thérapeutique sur différentes problématiques médicales comme le burn-out ou les stress post traumatiques. Cette structure évalue les bienfaits de la plongée sous-marine sur ces pathologies. L’objectif est de proposer pour l’été 2024, un premier parcours, une phase de test, avec un panel « d’Early Adopter ». Ça serait un parcours sur plusieurs semaines. Le but est de prendre le temps entre chaque plongée afin d’imaginer et réaliser des choses. Ce serait un parcours sur 5 à 6 semaines, avec deux activités par semaine, une plongée et un atelier de sensibilisation. 

Puis à plus long terme l’idée est de créer mon propre club de plongée, avec une vision de la plongée axée sur le bien-être et de sortir de l’image de la plongée “performative”. Je souhaite focaliser ma structure sur la découverte environnementale de la faune et flore sous-marine, le bien-être et la lutte contre l’éco-anxiété. Et un jour pourquoi pas j’élargirai la cible aux adultes éco-anxieux. 

(*Source : MARKS, Elizabeth et al. Young People’s Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury: A Global Phenomenon. Rochester, NY, 7 septembre 2021)  

Propos recueillis par Alice Bernaud 

 

Pour en savoir plus

Sur le programme des Sisters – ici
Si vous souhaitez vous jetez à l’eau – ici
Sur la promo 3 – ici

Laura Touzot (promo 2) : “Les enfants nous apprennent vers quel chemin tendre pour inventer un monde durable” – lire l’article 

 

Photo : Emma Martin Laval

 

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