Justine Vanhalst (Sister promo 3) « Data centers : la question est de savoir comment on les pense comme une ressource plutôt qu’une nuisance. »
Publié le 22 March 2023

Notre consommation engendre une dépense d’énergie ayant un impact important sur le dérèglement climatique. L’économie circulaire permet d’optimiser les ressources nécessaires à la production sans pour autant piller les sols et priver la terre de ses ressources naturelles. Avec son projet Hringvarmi, Justine Vanhalst, Sister de la promo 3, souhaite réutiliser l’excès de chaleur des data centers islandais pour offrir aux agriculteur·rices un lieu pour cultiver. Elle nous parle du concept d’économie circulaire, de l’autonomie alimentaire de l’Islande et de son aventure entrepreneuriale.

Peux-tu nous expliquer ce qu’est l’économie circulaire ? 

Selon moi, l’économie circulaire est une philosophie de vie qui permet de penser à la façon dont on produit. C’est la vision d’une boucle fermée. Concrètement, l’économie circulaire permet d’éviter de puiser dans les ressources naturelles de la terre et de produire des objets et des services qui sont tout d’abord consommés puis rejetés étant considérés comme des déchets.  L’idée d’une économie circulaire est de pouvoir à notre tour puiser dans des ressources inutilisées qui sont considérées comme déchets et de les réutiliser. L’économie circulaire est une vision qui sera nécessaire pour s’attaquer au dérèglement climatique. L’économie circulaire s’oppose à l’économie linéaire, qui est de prendre dans la nature, de créer ce qu’on a envie de créer et de rejeter les ressources non utilisées.

Les data centers – nécessaires au fonctionnement d’Internet – sont une source de pollution importante. Pourtant c’est un sujet peu connu…

Il est vrai que les data centers sont des structures polluantes. Tout d’abord par l’utilisation massive d’électricité qui sert à la fois d’alimenter les centres de données mais aussi qui sert à refroidir les serveurs. Cette électricité, dans certains pays, n’est pas produite de façon durable. Si on prend l’exemple de l’Angleterre, ils utilisent le charbon comme élément important du mix énergétique et on sait bien que le charbon est une des premières causes de GES pour les anglais. Pour le bon fonctionnement des centres de données, il faut le refroidir et pour cela il existe des systèmes complexes et énergivores comme une utilisation importante d’eau ou de produits chimiques. L’effet est grave : par exemple, on utilise de l’eau potable qui va être polluée et par la suite rejetée dans la nature. Ou l’usage de produits chimiques avec des propriétés refroidissantes qui vont permettre de refroidir les câbles et envoyer un air frais à l’intérieur. De ce point de vue, l’activité du centre de données a beaucoup d’impact sur l’environnement. 

Quid des data centers en Islande ? 

En Islande c’est un peu différent parce qu’on a la géothermie qui est considérée comme une énergie verte. De plus, pour refroidir les data centers on utilise une façon naturelle de le faire en ouvrant tout simplement les “fenêtres”. Toutefois la géothermie produit quand même du CO2. Il y a donc un impact sur l’environnement qui n’est pas neutre. De plus, il y a quand même de l’air entre 25°C et 50°C qui s’échappe des bâtiments et qui crée une bulle chaude pouvant impacter la biodiversité. Par exemple, en hiver quand il neige, on observe qu’il n’y a aucune neige et aucun verglas aux alentours des centres de données. Même s’il fait – 5°C dehors. De même les sols ne vont pas avoir la même saisonnalité que le reste du territoire islandais. Ma conclusion est de dire que ça a un impact qui n’est pas encore totalement prouvé, simplement car ce phénomène n’a pas encore été étudié. 

Ton projet Hringvarmi utilise justement la chaleur de ces data centers…

L’idée est de proposer un « test bed » pour la production de nourriture en Islande. Nous faisons la démarche d’optimiser l’utilisation de l’énergie. En Islande, avec 1MWh produit on peut à la fois, alimenter les data centers qui vont rejeter à peu près la même quantité d’énergie et permettre ensuite d’alimenter nos modules pour faire pousser sur place des légumes. Dans les data centers il est possible de capturer la chaleur, de la canaliser et de la transporter dans un module, qui va permettre ensuite à des producteur·rices s agricoles ou à des ingénieur·es dans le secteur de l’alimentaire, d’utiliser ce lieu en le louant. Ce cheminement favoriserait ainsi la production de nourriture locale en participant à la sécurité alimentaire de l’île. Pour rappel, l’ Islande est un pays très dépendant de l’importation de nourriture. Particulièrement d’un point de vue fruits et légumes où 80% sont importés.

Amandine Cassi

Comment se matérialise Hringvarmi ? 

Ce n’est pas une serre : en soi, nous ne produisons pas de nourriture. Hringvarmi est un espace qui peut être loué et qui est mis à disposition pour expérimenter un projet sans investir directement. Ça permet d’offrir un premier prototype aux entrepreneur·rices pour ensuite se lancer ou pour les producteur-rices de diversifier leur activité. Notre lieu offrira tous les paramètres nécessaires pour faire pousser les fruits et légumes. Nous sommes une plateforme qui permet aux personnes de connecter leur idée à leur réalisation. Grâce à Earthship Sisters, j’ai eu la chance de bénéficier du mécénat de compétences de Capgemini Engineering. Ça nous a permis de travailler avec des ingénieur·es expert·es dans le transfert de chaleur et dans la dynamique des fluides. La création du module est en cours. On a aussi une coopération avec un grand data centers en Islande, qui nous aide à développer le côté technique du projet. 

Comment les Islandais·es ont accueilli ton projet ? 

La géothermie fait que beaucoup ne voient pas le sujet énergétique comme une priorité. Il faut savoir que l’Islande couvre 100% de ses besoins en électricité avec des énergies renouvelables. Étant un exemple dans ce secteur, l’Islande pourrait devenir avec Hringvarmi leader dans le secteur de récupération des pertes énergétiques par excès de chaleur. De plus qu’aujourd’hui il y a une discussion autour d’une nouvelle régulation au sein de l’Union Européenne qui obligerait les producteur·rices d’excès de chaleur à en faire quelque chose et de s’atteler rapidement à ce problème. Rien n’est encore passé mais cela montre que c’est dans l’intérêt commun, Européen tout du moins, de se pencher sur les pertes de chaleurs fatales. Quand tu te lances dans l’entreprenariat avec un projet « hardware » c’est-à-dire sur des équipements techniques et physiques, trouver du soutien peut être très difficile. Encore une fois la temporalité n’est pas immédiate. Malgré tout, les Islandais·es accueillent très positivement ce projet, la preuve nous avons des coopérations avec des acteurs du secteur. Nous avons déposé notre premier appel à projet fin février qui nous permettra par la suite de faire une étude de faisabilité et de délivrer le premier prototype à petite échelle.  

Ton projet est exportable dans d’autres pays ? 

Les data centers ne vont pas disparaître et il y en aura même de plus en plus. La question maintenant est de savoir comment on les pense et comment on s’adapte à leur présence pour en faire une ressource plutôt qu’une nuisance. Notre but est de montrer aux gens qu’aujourd’hui on peut produire de la nourriture différemment. Nous pouvons optimiser nos ressources, on peut créer une communauté, une dynamique autour de ces centres de données, en diversifiant l’activité. On pense que l’Islande peut être une vitrine du changement qui permet de montrer que c’est possible. C’est un petit pays, le marché n’est pas très grand, ça permet de faire avancer les choses plus vite et ensuite, de montrer que nous sommes légitimes pour implémenter ça dans d’autres pays. 

Les data centers en Islande, avec qui on essaie de faire le premier Minimum Viable Product (MVP ou Produit Minimal viable, permettant de valider l’efficacité du concept), va ensuite nous permettre de réaliser notre objectif de s’étendre à l’international. En Europe dans un premier temps avec l’Angleterre et la France du fait de nos origines avec Alexandra Leeper la cofondatrice du projet et du fait que les data centers dans ces pays-là ont vraiment un impact très important sur l’environnement. 

Comme l’utilisation des excès de chaleur peut-elle être étendue à d’autres secteurs ? 

Pour l’instant, notre choix se porte sur la production alimentaire. Nous voulons montrer que c’est possible de lier deux activités et deux industries complètement différentes mais qui peuvent s’aider mutuellement. Les centres de données fournissent de la chaleur,  la chaleur est utilisée pour faire pousser des légumes, la production va redorer l’image des centres de données et leur donner un cachet d’économie durable et bon pour l’environnement. De plus, cela contribue à une production locale de nourriture et participe à la sécurité alimentaire. Ce schéma peut exister avec les systèmes de réfrigération et toutes les industries de la chaîne du froid par exemple qui sont aussi des gros producteurs de chaleur fatale.

Propos recueillis par Alice Bernaud | photo Emma Martin Laval

Pour en savoir plus

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